Le mois le plus froid
GROENLAND
Mars 2011
Copenhague, Danemark
Il semble que les plus grandes aventures de ma vie aient toujours commencé dans une grande ville. Je venais d'avoir 23 ans et je souhaitais accumuler le plus d'expériences possibles en glaciologie. Après avoir passé quelques semaines en Haute-Savoie et au Svalbard en ce début 2011, j'étais prête pour de plus amples aventures polaires. Je retrouvais Sam Doyle, mon coéquipier dans l'Himalaya, le Dr Alun Hubbard, mon coordinateur MSc à l'université d'Aberystwyth. Avec eux, deux nouveaux collègues de Suède, le professeur Rickard Pettersson et sa doctorante Katrin Lindback. Ensemble, nous prévoyons de passer 3 ou 4 semaines sur la calotte glaciaire du Groenland, sur un glacier appelé Russel Glacier Catchment, juste au-dessus de 1000 m d'altitude. Air Greenland nous a emmenés à Kangerlussuaq sur la côte ouest de l'île, véritable plaque tournante de l'Arctique située à la tête d'un "grand fjord" du même nom.
Nous y avons passé quelques jours à trier la nourriture, l'équipement, à préparer nos panneaux solaires et nos outils de recherche. J'ai envahit le petit atelier de KISS, Kangerlussaq International Science Support, forant, coupant, soudant et coupant ma main à maintes reprises en essayant d'être rapide. Sam me donnait des listes de choses à faire tous les jours, y compris ma mission préférée "va te promener";)
Pendant notre séjour à KISS, nous sommes tombés sur deux skieurs qui avaient les deux mains enroulées dans des pansements comme des boxeurs. Ils venaient d'être évacués de la calotte, au milieu de leur traversée Est-Ouest. Une soudaine baisse de température les a rattrapés au pire moment, gelant les nombreuses paires de gants qu'ils avaient et bien sur leurs doigts ... Nous avons passé le reste de la journée acheter chaque paire de gants que nous pouvions trouver en ville, profondément effrayés par ce qui nous attend. C'était ma première grande expédition polaire, et je n'étais pas complètement prête pour les semaines à venir.
Il nous a fallu trois vols en twin otter pour amener toute l'équipe et notre équipement sur la glace. Le principal problème était d'installer une motoneige dans l'avion, ce qui nécessite une thèse en tétris. Le jour J était enfin arrivé, time for the ice!
À LA GLACE
Le vol était incroyable. La calotte glaciaire avait l'air beaucoup plus hétérogène que je ne l'avais imaginé. Il y avait des champs de crevasses géants, des collines, des creux, la première calotte glaciaire que j'ai jamais vue et sur laquelle j'ai pu travailler.
"Bienvenue en enfer", a déclaré Sam dès que nous avons atterri. Et en effet, ça l'était. Au moins pendant la première semaine. Nous avons commencé notre expédition au milieu d'une "anomalie froid". Pendant que d'autres instituts polaires retiraient leurs chercheurs de la glace, nous installions notre petit camp. Pendant les premiers jours, nous avons dû creuser, creuser creuser creuser. Je dis toujours que les glaciologues sont avant tout des docteurs pelletage de neige, et ce n'était pas une exception. Nous revenions sur un site qu'Alun Hubbard et son équipe utilisaient depuis quelques années, dans la zone d'accumulation de la calotte glaciaire. L'accumulation = chutes de neige, et en effet les caisses, les tentes, l'overcraft des années précédentes étaient enfouis profondément dans la neige. C'était la stratégie parfaite pour nous tenir chaud, parfois creuser n'est pas si mal que ça! Nous avons été particulièrement heureux lorsque nous avons trouvé le stock d'alcool et les barres de chocolat.
Dans la petite tente que je partageais avec Katrin, nous avions placé un mini thermomètre juste au dessus de nos têtes. Lorsque j'étais allongée dans mon sac de couchage, j'avais les yeux rivés sur thermomètre, franchissant le seuil de -35 ° c, puis -40 ° c et finalement -44 ° c. A l'intérieur de la tente! Quand j'ai dit que je n'étais pas préparée, c'était principalement parce que mon équipement pouvait survivre à -20 ° c au plus bas, pas à -44 ° c. Nous avons tous tellement lutté avec ces températures. Notre équipement se cassait, nos corps souffraient, chaque jour était une bataille contre le froid.
Et au milieu de cette vague de froid, nous avons dû faire de la science! Notre expédition faisait partie du Greenland Analogue Project, notre mission était de nous concentrer sur l'hydrologie de la calotte glaciaire. Pour cela, 4 objectifs principaux:
- l'entretien des stations météorologiques existantes
- installer des GPS
- enterrement des sismomètres
- faire beaucoup de radar et espérer détecter certains lacs sous-glaciaires
La vague de froid a eu un impact profond sur notre travail. Une expédition polaire est toujours une course contre la montre, et en effet, passer des jours et des nuits à réparer notre équipement cassé n'était pas idéal. Lorsque le temps s'est un peu amélioré, nous avons décidé de concentrer tous nos efforts sur le radar, avec une équipe travaillant 12 H pendant la "nuit" et la deuxième équipe travaillant pendant le "jour". A ce moment dans l'expédition, nous n'étions plus que 4 scientifiques, ma colocataire Katrin a dû partir avec le vol de ravitaillement. J'ai fait pression pour faire partie de l'équipe de jour avec Rickard et j'ai fini par gagner :)
Faire du radar au Groenland consistait à tirer une ligne de 200 m de câbles à fibres optiques avec une motoneige à 5 à 10 km / h. Une personne devait bien sûr conduire le scooter, et l'autre était en charge de l'ordinateur, assis(e) sur un petit traîneau à 100 m derrière la motoneige. C'était de loin la position la plus froide, sans aucun moyen de rester au chaud ou de s'abriter. C'est alors que j'ai développé de nombreuses façons pour m'empecher de tomber en hypothermie sur ce minuscule tabouret, telles que boxer dans l'air, de faire des squats et de rêver de jours plus chauds.
Le radar est également le meilleur moyen de se faire une idée du terrain, d'observer, de détecter de minuscules changements de pente, de texture et de densité de la glace et de la neige. Plus d'une fois, nous nous sommes retrouvés au milieu de champs de crevasses gigantesques et terrifiantes qui nécessitaient une conduite délicate pour sortir de là au plus vite tout en collectant d'excellentes données. Sam m'a également emmené sur des missions plus courtes pour réparer les stations météorologiques, installer les GPS, les sismomètres ou trouver des super moulins loin du camp. Cette expédition était vraiment un baptême du feu pour moi, j'ai appris certaines des leçons les plus importantes de ma vie.
DERNIERS JOURS SUR LA GLACE
À ce stade, après plus de 3 semaines sur la glace, nous étions bien crevés pour ne pas dire au bout du rouleau. Nos visages étaient gelés, nos mains pleines de coupures qui ne se refermaient pas, je me souviens même que mes ongles se détachaient de mes doigts et de mes orteils à cause du froid, c'était si douloureux que nous devions les scotcher contre notre peau. Il était temps de rentrer à la maison! Nous nous sommes tous mis d'accord pour une dernière poussée, 36 H de travail non stop pour remballer le camp et filer au point de rendez-vous avec notre twin otter. Notre plan était d'envoyer Alun et Sam en avant pour faire la trace, et d'avoir Rickard et moi à l'arrière, collectant des données radar le long du chemin. Conduire sur une si grande distance tout en étant autant privée de sommeil a été une expérience inoubliable. Je pouvais voir Sam s'endormir en conduisant, je devais continuer à chanter / crier pour rester alerte et éveillée.
Finalement, 36H plus tard, nous pouvions enfin voir une structure à l'horizon. La base de Dye 2, un dôme géodésique construit à la fin des années 1950 comme système d'alerte. Le petit point grossissait de plus en plus à l'horizon. Soudain, je regarde derrière moi et vois un énorme avion Hercules sur le point d'atterrir exactement où nous étions! À ce moment-là, je ne savais pas si j'hallucinais profondément ou si l'avion était réel, nous avons fait un virage serré pour éviter l'avion. Nous roulions sur une piste enneigée, faite pour entraîner des pilotes américains à atterrir et à décoller sur la neige. Arriver à Dye 2 était un tel soulagement. Nous avions survécu à cette expédition, avec tous nos doigts et nos orteils, et collecté d'excellentes données. J'avais hâte de rentrer chez moi.